L’homme
reçoit dans un luxueux appartement du XVIe arrondissement de Paris. Les murs
sont recouverts de toiles religieuses, mais lui n’a pas toujours des mots très
catholiques. Sa cible: la «Sarkafrique».
Au lendemain de son départ à la retraite, l’homme
d’affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, président du groupe portuaire
Progosa, dénonce dans un entretien à Mediapart les pressions de Nicolas Sarkozy
sur plusieurs chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest pour que l’industriel
Vincent Bolloré, intime du président français, décroche de juteuses concessions
portuaires. Un chantage d’Etat.
Ancien
vice-président du groupe Bouygues et proche des réseaux chiraquiens, M.
Dupuydauby affirme avoir personnellement recueilli les confidences
embarrassantes de plusieurs présidents africains, dont Faure Gnassingbé (Togo)
et Denis Sassou N’Guesso (Congo).
«Quand
M. Bolloré s’implante quelque part, il utilise le président français comme son
VRP de luxe. M. Sarkozy, de son côté, met dans la balance les relations
franco-africaines et fait des pressions », affirme Jacques Dupuydauby. L’homme d’affaires, qui
avoue « ne pas être un perdreau de l’année», tranche: «On est passé de la Françafrique des
mallettes à la Sarkafrique des concessions.»
Agé
de 65 ans, récemment condamné au Togo à vingt ans de prison dans une affaire
dont il dit ne rien connaître et qu’il soupçonne avoir été orchestrée par
Vincent Bolloré, l’industriel réclame désormais l’ouverture d’une commission
d’enquête parlementaire sur le «système
Sarkozy en Afrique».
Votre
société, Progosa, avait remporté en 2001 la concession du port de Lomé au Togo,
que vous avez brutalement perdue en 2009. Que s’est-il passé qui puisse
expliquer ce renversement de situation?
Il
s’est passé l’élection de Nicolas Sarkozy. Après le sommet de Lisbonne, qui
s’est tenu en 2007 sur le thème «Europe-Afrique»,
Faure Gnassingbé, l’actuel président du Togo, que je voyais tous les mois, m’a
soudainement expliqué :«J’ai
un gros problème». Au sommet de Lisbonne, Sarkozy lui a en effet
annoncé que la France soutenait ses amis, dont le Togo fait partie, mais qu’en
contrepartie la France attendait de ses amis qu’ils se comportent vis-à-vis
d’elle de façon, disons, amicale.
C’est-à-dire?
C’est-à-dire
que, je cite, «quand on
est l’ami de la France, on est l’ami des sociétés françaises». Et Sarkozy
lui a demandé de donner la gestion du port de Lomé au groupe de son ami Vincent
Bolloré.
Vous
le tenez de la bouche du président togolais?
Parfaitement.
Plusieurs ministres togolais me l’ont également confirmé. Faure Gnassingbé m’a
dit qu’il allait résister, mais il n’a pas pu. Car le coupable, dans cette
affaire, ce n’est pas Faure Gnassingbé. Vous êtes président du Togo, vous avez
des élections qui approchent, vous savez que cela va être très tendu, par
conséquent, vous espérez que le gouvernement français reconnaisse votre
légitimité – ce type de geste diplomatique a encore beaucoup d’importance en
Afrique francophone. La suite est assez simple à comprendre.
La
suite, donc. Vous avez été condamné le 7 septembre dernier à vingt ans de
prison ferme et plus de 350 millions d’euros d’amendes par un tribunal de Lomé
pour «abus de confiance»,
«délit d’escroquerie»,
«usage de faux»,
«fraude fiscale»,
«destruction volontaire»
et «groupement de
malfaiteurs». Quelle est l’origine de cette procédure?
C’est
une histoire folle. Nous n’avons même pas été avisés par l’Etat du Togo ou par
qui que ce soit de ce jugement rendu en 2011! Et pour cause: dès notre départ
en 2009, on savait que nous ne pourrions plus y retourner, nos bureaux étaient
occupés et nos dossiers saisis. En 2009, quand le groupe Bolloré a commencé à
nous chasser de Lomé, nous savions seulement qu’il y avait un contrôle fiscal
en cours contre nous.
En
mai 2009, alors que j’étais au Burkina Faso, les autorités togolaises, sous la
conduite du conseiller spécial du président Gnassingbé, l’ex-avocat Charles
Debbasch, sont entrées dans l’une des maisons louées par ma société au Togo
pour s’emparer de nos archives. Celles-là mêmes que l’on nous accuse
aujourd’hui d’avoir fait disparaître. Extraordinaire !
Quand
on a vu ce qui se passait, nous ne sommes pas rentrés du Burkina Faso au Togo.
Et c’est comme ça que nous avons été accusés d’avoir fui, alors que nous avons
quitté le territoire légalement – je tiens à votre disposition mon passeport
tamponné–, et qu’un mandat d’arrêt international a été émis à notre encontre.
Enfin, paraît-il...
Avec
plusieurs de mes collaborateurs, nous sommes donc allés à Ouagadougou, où nous
nous sommes mis sous la protection du président Blaise Compaoré. Notre
directeur local, M. Broutin, lui, a fait 45 jours de prison au Togo. Et
l’ambassade de France n’a pas levé le petit doigt, elle n’est même pas allée le
voir! Les autorités locales l’ont finalement sorti parce qu’ils avaient peur
qu’il meure en prison. D’après moi, toute cette affaire a été orchestrée par M.
Bolloré.
Comment
le savez-vous?
Dans
l’heure qui a suivi notre départ, Bolloré a pris possession des lieux et
récupéré la concession du port de Lomé. Ils ont tout pris ! Le directeur général
de Bolloré a été nommé directeur de nos sociétés en une heure... Par la suite,
toutes nos tentatives d’indemnisation ont été mises à mal par Charles Debbasch,
qui, en plus de conseiller le président du Togo, semble aussi être le bras
séculier de Bolloré dans le pays.
Et
j’apprends début octobre par un site internet togolais officiel,
Republicoftogo, que j’ai été condamné à vingt ans de prison ! Mais ce jugement
n’est l’aboutissement de rien: je n’ai jamais été convoqué dans cette affaire.
Je ne sais même pas ce qui m’est reproché factuellement. Je me pose beaucoup de
questions sur ce soi-disant jugement qui fait suite à un soi-disant procès
auquel nous n’avons pas été conviés...
Avez-vous
l’intention de faire appel du jugement?
Nous
avons pris un avocat, ancien ministre de la justice du Togo, Me Abi, qui va
faire opposition au jugement. Mais je vous rappelle que, dans ce procès, les
parties civiles sont l’Etat togolais et le groupe Bolloré.
Un
chantage d’Etat
Selon
vous, la justice togolaise a été manipulée?
Je
m’interroge fortement sur le mode de fonctionnement de la justice togolaise et
de son indépendance à tous égards. Mais ma conviction, c’est que celui qui fait
la pluie et le beau temps au Togo, sur la justice comme sur le reste, s’appelle
Charles Debbasch, condamné en France dans l’affaire Vasarely, manifestement
protégé depuis un certain temps puisqu’il circule librement alors qu’à ma
connaissance, il n’a pas été dispensé de peine. Il est vrai, qu’entre-temps, il
a écrit de magnifiques livres à la gloire du président Sarkozy... Ces œuvres
sont disponibles sur Internet.
Mais
vous-même, quand vous aviez la concession du port de Lomé, vous avez fait
travailler Charles Debbasch comme juriste. Vous avez même produit les factures
sur votre blog...
Vous
m’expliquerez comment on peut travailler au Togo sans avoir recours aux
services de l’avocat Debbasch, aujourd’hui l’avocat radié Debbasch. Si vous
connaissez une seule entreprise au Togo qui ait pu travailler sans passer par
lui et ses éminents conseils juridiques, vous me la signalerez. J’ai chargé mon
avocat français, Me Jean-Pierre Mignard, d’étudier la possibilité de déposer
une plainte à Paris sur ces faits.
Si
l’on en croit les confidences du président togolais que vous rapportez dans cet
entretien, M. Sarkozy serait donc à l’origine de l’éviction de votre groupe?
Totalement.
Absolument. Je mets directement en cause Sarkozy. D’ailleurs, je vous signale
qu’un député socialiste, Jean Launay, a posé en octobre 2010 une question au
gouvernement sur les pressions de Nicolas Sarkozy en faveur du groupe Bolloré
au Togo. Le ministre des affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, n’a
pas démenti. Il s’est abstenu de répondre.
Le
cas du Togo est-il un cas unique?
Bien
sûr que non. Il y a le Congo, entre autres.
Qui
est intervenu contre vous au Congo?
Toujours
le même! Sarkozy, directement. Les chefs d’Etat eux-mêmes me l’ont confié.
Sassou N’Guesso (le président du Congo - NDLR), que je connais depuis trente
ans, m’a dit : « Je suis désolé, j’aimerais bien te donner le port de Pointe
Noire, mais je ne peux pas. Sarkozy met son veto ». J’entretiens de bonnes
relations avec plusieurs chefs d’Etat africains, depuis la fin des années 1970,
et je n’avais jamais connu ça auparavant. Quand M. Bolloré s’implante quelque
part, il prend possession de tout, les infrastructures stratégiques en matière
de transport notamment, tout, et il utilise le président français comme son VRP
de luxe. M. Sarkozy, de son côté, met dans la balance les relations
franco-africaines et fait des pressions. Comment voulez-vous qu’un chef d’Etat
résiste ?
Au
Cameroun, vous avez eu les mêmes échos?
Au
Cameroun, nous avions gagné l’appel d’offres pour le port de Douala. La Banque
mondiale a soutenu l’attribution. Le président Biya voulait nous donner la
concession. Là-dessus, M. Sarkozy intervient et dit au président camerounais: «C’est pas Dupuydauby qui viendra
vous exfiltrer lorsque vous serez encerclés dans votre palais». Un
juge d’instruction camerounais a tenté de faire sortir l’affaire. En vain.
Combien
de concessions avez-vous perdues depuis l’élection de Nicolas Sarkozy?
On
n’a pas eu le Cameroun et nous avons perdu le Togo et le Gabon. Avant
l’élection de M. Sarkozy, c’était une guerre classique entre groupes
industriels. Et comme nous étions moins chers et au moins aussi performants,
nous pouvions gagner. Le combat était équilibré politiquement, même s’il était
déséquilibré financièrement, parce que Bolloré dispose de moyens de conviction
que nous n’avions pas.
Ce
système d’intervention de l’Etat, que vous décrivez, n’est pas vraiment
nouveau...
Je
vais être très clair. Quand il y a un appel d’offres international, qu’un
ambassadeur aille dire au pouvoir en place que la France apprécierait qu’il
regarde ce dossier de manière particulière, je ne trouve pas ça anormal. Par
contre, il est anormal que les ambassadeurs se transforment en factotum de
Bolloré et servent de courroie de transmission à l’Elysée. Sous Sarkozy, le
message est : « Si vous ne faites pas ce qu’on vous demande en donnant telle et
telle chose à Bolloré, vous ne pourrez plus compter sur l’appui de la France ».
La
rupture avec le passé
Il
y a des menaces politiques, mais pour obtenir ces marchés, n’y a-t-il pas aussi
de l’argent...
Cela
a toujours été le cas, oui. Ce que je dénonce, c’est le fait que le président
de la République française, directement puis indirectement, fasse pression sur
les chefs d’Etat africains pour que des concessions soient données à Bolloré,
ou retirées à des adversaires de Bolloré, pour être données à Bolloré, en leur
disant: «si vous ne faites
pas ce que je vous demande, la France ne vous soutiendra plus». M.
Sarkozy utilise ses fonctions de premier personnage de l’Etat pour que son
copain puisse ramasser des concessions aux dépens d’un autre.
Et
cela, Chirac ne le faisait pas?
Ah
non! Je peux vous l’assurer. La France manifestait son souhait de voir des
Français gagner, mais ça, c’est normal. Les prédécesseurs de M. Sarkozy n’ont
pas proféré des menaces à caractère diplomatique pour favoriser les affaires
d’Untel ou Untel.
Quel
est l’intérêt pour Nicolas Sarkozy?
La
philanthropie, l’amitié... (sourires). Quelque chose m’a beaucoup frappé. Après
avoir fait croisière sur le Paloma, le yacht de Bolloré (au lendemain de son
élection, en mai 2007 - NDLR), Sarkozy a dit : «Je souhaiterais qu’en France,
il y ait beaucoup d’entrepreneurs comme M. Bolloré». Puis M. Sarkozy nous a
expliqué que jamais le groupe de M. Bolloré n’avait travaillé pour l’Etat. M.
Bolloré a été remboursé au centuple de son yacht et de ses avions.
Avez-vous
des raisons de croire qu’il y a d’autres arrière-plans financiers à ce soutien
apporté à M. Bolloré?
Allez
donc demander à M. Claude Guéant pourquoi quinze jours avant la guerre en
Libye, il a fait en sorte que M. Bolloré arrache le port de Misrata. Il l’avait
obtenu grâce au système Kadhafi avant la guerre et il s’apprête à le garder
après. Autre exemple : la Côte d’Ivoire. M. Bolloré a obtenu un monopole sur le
port d’Abidjan, une mine d’or, grâce au président Gbagbo, dans des conditions
juridiquement rocambolesques. Je rappelle que M. Gbagbo a décoré M. Bolloré
quelques jours avant sa chute et que Bolloré a soutenu Gbagbo jusqu’à l’extrême
limite du possible.
M.
Ouattara, qui a battu Gbagbo aux dernières élections, mettait explicitement en
cause un institut de sondages appartenant au groupe Bolloré d’avoir livré des
sondages favorables à Gbagbo. M. Ouattara arrive finalement au pouvoir: il
invite M. Bolloré à sa table d’honneur le jour de son intronisation. Que
pensez-vous qu’il se soit passé? L’un des industriels les plus proches du
président m’a confié que Sarkozy lui-même avait exigé de M. Ouattara que
Bolloré garde toutes ses positions sur le port d’Abidjan.
Ces
cas sont vérifiables. Une fois, on peut s’interroger. Deux fois, on peut
douter. Trois fois, c’est une forme de certitude. A la quatrième, on a la
preuve d’un système. On est passé des mallettes de M. Bourgi, qui étaient un
secret de Polichinelle, à quelque chose de beaucoup plus fort. On est passé de
la Françafrique des mallettes à la Sarkafrique des concessions.
Hortefeux,
Carignon, Balkany...
On
peut imaginer qu’il existait le même type de messages à Omar Bongo, au Gabon,
pour favoriser l’attribution à Elf de telle ou telle concession pétrolière,
non?
Je
ne parle que de ce que je connais. Mais les enjeux nationaux étaient autres
avec le pétrole, dont dépendait une partie de l’indépendance énergétique de la
France selon le général de Gaulle. Pouvez-vous me dire quel est l’intérêt
stratégique pour la France de donner une concession à M. Bolloré?
Il
y a l’argument de la défense des entreprises françaises.
Et
Getma, la société qui a été chassée par Bolloré du port de Conakry, en Guinée,
ce n’est pas une entreprise française, peut-être? C’est une entreprise
française ! Elle est installée près des Champs-Elysées. Tout cela peut
s’apparenter à un système. En tout cas, c’est systématique. Avec les pressions
et les envoyés parallèles.
Qui
sont ces envoyés?
Patrick
Balkany, député-maire de Levallois-Perret, intime de Nicolas Sarkozy, joue par
exemple un rôle considérable dans ce système. Et il est sûrement là pour
représenter l’honnêteté française... Franchement, quand on voit cet élu des
Hauts-de-Seine accompagner en permanence le président de la République dans ses
déplacements africains et revenir après dans les pays pour faire passer les
messages, on a la nausée. Quand on voit la place d’Alain Carignon, autre grande
figure de l’honnêteté française, auprès de Brice Hortefeux, lequel est très
actif dans toutes ces affaires africaines, on a du dégoût.
Comment
considérer ce que vous dénoncez aujourd’hui comme autre chose qu’une vengeance
de mauvais perdant face au groupe Bolloré?
Ah,
mais moi, j’ai perdu. C’est sûr. Il m’a éliminé. J’ai 65 ans, je prends ma
retraite. Je ne suis plus actif dans ce secteur. J’ai vendu le fonds de
commerce de mon groupe. C’est un problème qui ne me concerne plus
personnellement. A mes yeux, c’est aujourd’hui de nécessité de mettre Sarkozy
et ses relais, au premier rang desquels Bolloré, à la porte de l’Elysée. Je
rappelle d’ailleurs que MM. Sarkozy et Bolloré ont le même conseiller: Alain
Minc. Il faut mettre fin au système. Le système Bolloré est une pieuvre.
Réclamez-vous
une commission d’enquête parlementaire?
Je
pense que le fonctionnement du système Sarkozy en Afrique, dont Bolloré est le
pivot, serait en effet un excellent sujet d’enquête parlementaire. Mais au
Sénat, qui vient de basculer à gauche, je lisais que la nouvelle majorité
s’interrogeait sur des sujets marquant le changement. Voilà un beau sujet, le
soutien politique apporté aux investissements privés de M. Bolloré en Afrique,
les pressions exercées sur les Etats africains, les méthodes d’attribution des
marchés au groupe Bolloré, et enfin qui en tire bénéfice.
Dans
le livre Sarko m’a tuer (Stock), vous avez raconté une scène surprenante du
début des années 1980 durant laquelle Nicolas Sarkozy, maire de Neuilly et
avocat, aurait demandé que la société que vous dirigiez alors couvre des
prestations juridiques fictives à son profit. Quelles ont été les réactions de
l’Elysée suite à ces confidences?
Aucune.
Peut-être savent-ils que j’ai des archives.
Source:
mediapart.fr
Jacques
Dupuydauby dans le livre «Sarko m’a tuer»
«…
On revient à l’Afrique, là où s’est cristallisée la haine. Jacques Dupuydauby évoque
d’abord le Togo, et le port de Lomé, qu’il assure avoir «totalement redressé alors que
Bolloré était (son) actionnaire minoritaire à 15 %», Changement de
décor après la mort, en février 2005, de l’inamovible président Eyadéma
Gnassingbé, auquel succède son fils, Faure Gnassingbé. «Fin 2007, Faure Gnassingbé
m’explique, très embarrassé, qu’il a rencontré Sarkozy à Lisbonne, qui lui
aurait dit qu’il fallait me retirer la concession du port et la donner à
Bolloré, sinon il empêcherait sa réélection. Faure Gnassingbé n’a eu d’autre
choix que de s’exécuter».
D’après
Dupuydauby, le même processus s’est déroulé en Guinée, où l’une de ses
sociétés, la GETMA, détenait le port de Conakry. «Comme au Togo, l’armée a été jusqu’à encercler nos
bureaux pour faire place nette, assure-t-il. Tout cela s’est produit via les
réseaux sarkozystes, une véritable diplomatie parallèle.»
Progosa
a également perdu la gestion de ports au Gabon, au Cameroun et au Congo-
Brazzaville. Une infortune imputable, selon lui, aux bonnes relations
entretenues par Nicolas Sarkozy avec certains chefs d’État africains. «Voilà comment fonctionne la
Sarkafrique!», s’esclaffe Jacques Dupuydauby, satisfait de son bon
mot. Mais très vite, il se calme, et repense aux ennuis en cascade qui se sont
abattus sur lui ces dernières années. «Tout cela ne m’a pas surpris. Avant
l’élection de Sarkozy, en 2007, un important collaborateur de Bolloré a confié
à l’un de mes conseils: «Dupuydauby,
qu’il ne se fasse aucune illusion, dès que Sarko sera au pouvoir, on le foutra
en taule.» Du coup, il évite le plus possible de venir en France,
où il ne se sent pas en sécurité. «J’ai
souvent la crainte, dès que je mets les pieds dans l’Hexagone, que les flics
débarquent sous je ne sais quel prétexte. Tout cela est très dur à vivre, il
faut avoir des convictions chevillées au corps pour résister.» Il
se dit «certain d’être
sous surveillance, au minimum sur écoute», Même à Séville, où il
passe le plus clair de son temps, il estime ne pas être totalement à l’abri.
«J’ai
des avocats en Espagne qui ont été obligés d’arrêter de travailler pour moi
depuis 2007, car ils ne voulaient pas apparaître comme des ennemis du président
français. J’avais aussi un associé espagnol très puissant. Il a dû rompre ses
accords avec moi pour sauver son propre business.» Il conclut sur cette image-choc: «J’ai eu l’impression ces quatre
dernières années d’être comme ces lépreux dans la Rome antique qui traversaient
la ville avec une clochette, et les gens s’écartaient sur leur passage.»
Le
patron de Progosa ajoute encore: «Ce
qui me choque, c’est certains de mes amis ministres, soi-disant gaullistes, qui
m’ont dit pis que pendre de Sarkozy dès 2007, mais qui sont restés au
gouvernement car la soupe est bonne. Ils ont cautionné ce personnage. Mon amie
Michèle Alliot-Marie, une femme intègre que j’aime beaucoup, a été une caution
morale pour lui, je le regrette.» Jacques Dupuydauby a perçu, à
partir du début de l’année 2011, comme un changement de climat. Les enquêtes
d’opinion, catastrophiques pour Nicolas Sarkozy, conjuguées à l’imminence de
l’échéance présidentielle, n’y sont pas pour rien. «Je commence à retrouver des amis, car le vent tourne!
lance-t-il. Tout le monde va se découvrir antisarkozyste en 2012. Ils le
trahiront tous, je le plains.»
Aux
dernières nouvelles, Jacques Dupuydauby cherchait un éditeur. Il a eu l’idée
d’écrire un livre, dans lequel il entend démontrer que Nicolas Sarkozy est le
fossoyeur du gaullisme dont il se réclame pourtant. Jacques Dupuydauby a déjà
trouvé le titre: L’Imposteur. «Apprendsmoi
à pardonner à ceux qui ont péché contre moi », dit la Bible. Jacques Dupuydauby
reste un fervent catholique. Mais il ne tendra jamais l’autre joue».
«Sarko
m’a tué»,
Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Edition Stock, PP.304-306