mercredi 5 août 2009

Drôle, des missionnaires accordent des permis de séjour

Dans la région de Naples, des missionnaires délivrent, “au nom de Dieu”, des titres de séjour aux étrangers menacés d’expulsion. Une manière de protester contre le durcissement de la législation.

Mary est venue du Ghana avec un visa touristique et, quand il a expiré, elle est restée. Elle a eu de la chance : elle a pu être régularisée de justesse. Aujourd’hui, elle travaille comme interprète pour une association d’aide aux réfugiés politiques et elle a deux enfants. Elle n’y serait pas parvenue si un bon Samaritain, peu préoccupé de savoir si elle avait des papiers en règle, ne l’avait hébergée et aidée. Mary a été l’une des premières, parmi des milliers d’immigrés, que le père Giorgio a accueillie. Il y a treize ans, de retour d’Afrique, ce missionnaire de l’ordre de saint Daniele Comboni a décidé de poursuivre sa mission dans “notre” Afrique, à Castel Volturno, en Campanie [l’un des fiefs du clan mafieux Casalesi, dans la région de Naples]. C’est une grande plaine où poussent les tomates et où prospère l’illégalité ; le premier cercle de l’enfer de l’immigration en Italie.

Nous trouvons le père Giorgio dans son bureau, barbu, en chemise orange, en train de tamponner des permis de séjour. Evidemment, il ne peut utiliser les tampons du ministère de l’Intérieur. Les siens sont marqués du sceau du Seigneur. “Nous parlons de dignité humaine, non ? Dans ce cas, mon autorité en la matière est bien supérieure.” Il remplit et signe le formulaire bleu : encore un permis de séjour rendu au nom de Dieu. Avec ses frères, ils en ont rédigé des centaines. C’est leur façon de s’opposer à la nouvelle loi [qui fait de l’immigration clandestine un délit pénal, cf. CI n°976], une protestation amère, symbolique et un peu potache.
A première vue, ces permis ont l’air authentiques, mais on voit mal un commissaire de police les prendre au sérieux.

Pour certains, le père Giorgio est un prophète en sandales. Pour d’autres, il est “celui qui importe des nègres”. Cet homme de 67 ans se présente comme un “serviteur de la Loi”, avec un “L” majuscule, prêt à enfreindre celle qui s’écrit avec une minuscule. “Nous ne dénoncerons aucun étranger sans papiers, explique-t-il, une loi contraire aux droits humains et à l’enseignement du Christ, je ne la respecte pas. Qu’ils m’envoient en prison ! Et pourtant, je n’ai vraiment pas envie d’être incarcéré. Je viens d’une famille modeste qui respecte l’ordre et se soumet à l’autorité. Ce respect, je l’ai toujours en moi. Mais il fallait faire un choix.”

L’église Sainte-Marie de la miséricorde où travaille le père Giorgio est une cage de béton armé et de brique. Une batterie et plusieurs tambours trônent à côté de l’autel. “Adapter notre liturgie est aussi une façon de les accueillir”, poursuit le missionnaire. Sur les murs, des fresques aux couleurs vives. “C’est un Hongrois qui les a peintes”. Un Jésus blond lave les pieds d’un saint Pierre noir, la Cène est un dîner pluriethnique. C’est la paroisse des immigrés : l’évêque de Capoue l’a confiée au père Giorgio et à ses deux vicaires, le père Antonio et le père Claudio. C’est sans doute la seule en Italie à ne pas avoir de paroisse mais seulement des ouailles pour le moins anonymes et volatiles. Cueilleurs de tomates, manœuvres sur les chantiers… “Ils arrivent, restent un peu, disparaissent. Pour la plupart, je n’ai jamais connu leur nom”, poursuit le père Giorgio. Quand il est arrivé à Castel Volturno, en 1993, il a dû trouver une demi-douzaine de maisons d’accueil d’urgence. Combien parmi ses ouailles ont un permis de séjour ? “Je ne le demande à personne. Comme ça, j’évite de savoir lesquels je devrais considérer comme des délinquants”, dit-il. Des centaines de paroisses s’opposent ainsi au délit de clandestinité, ou plutôt à la nouvelle loi sur l’immigration, la “loi de la douleur”, [comme les évêques italiens l’ont surnommée]. La porte du centre d’accueil des missionnaires donne sur une cour bondée d’enfants. Ils sont une cinquantaine, et leurs parents sont presque tous en situation irrégulière. Avec la nouvelle loi ils n’apparaîtront dans aucun registre d’état civil, ils ne seront fils ou fille de personne. “A l’église, je m’insurge contre les trafiquants de drogue. Qui commet un délit doit payer. Je suis contre l’illégalité. Vous ne comprenez pas que c’est justement là le problème ? Venez avec moi.” Nous montons dans sa voiture. Après le tremblement de terre qui a secoué la région dans les années 1980, la spéculation immobilière a explosé ; les décharges toxiques, contrôlées par la Camorra, se sont aussi multipliées. Aujourd’hui, la rue qui longe la mer est un cauchemar de station balnéaire : 27 kilomètres de villas décaties, d’hôtels fermés, de parcs aquatiques croulants, de bennes éventrées, d’immondices, de plages désertées en plein mois de juillet. C’est ici que six Ghanéens ont été abattus par la Camorra en septembre dernier. “C’est ce qu’on appelle un délit, vivre dans l’illégalité”. Dans le fond, Père Giorgio espère que tout cela n’est “qu’une hypocrisie du pouvoir,[…] une démonstration de force, juste de la propagande, et qu’ils ne s’apprêtent pas à rafler des milliers de malheureux”. Mais si ce n’était pas le cas, le père Giorgio n’exclut pas une “opposition plus musclée”.

Ainsi va l'europe et ceux qui ont encore un brin d'humanité en eux comme dans ce cas, sont rares.

Bon entendeur!!!

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